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Le passé juif méconnu de Gaza: origines, causes et héritage

Gaza, souvent perçue aujourd’hui uniquement à travers le prisme de son identité palestinienne moderne, possède une histoire juive riche et complexe s’étendant sur plusieurs millénaires. Bien qu’aujourd’hui dépourvue de toute vie juive, la ville fut autrefois un centre majeur de pensée, de commerce et de mysticisme juifs. Des récits bibliques aux sommets de l’érudition juive sous l’Empire ottoman, des Juifs y ont vécu, travaillé et prié pendant des siècles. Cependant, conquêtes, bouleversements politiques et violences ont progressivement effacé cette présence. Comprendre comment et pourquoi la communauté juive de Gaza a disparu exige de se replonger dans ses racines historiques profondes et dans les forces qui ont redéfini son identité.


Gaza biblique : conflits, puissance et prophétie

La plus ancienne mention de Gaza dans l’histoire juive figure dans la Bible hébraïque, où elle apparaît comme un bastion philistin. L’un des épisodes bibliques les plus célèbres concernant Gaza est celui de Samson, le puissant juge israélite. Selon Juges 16:1-3, Samson se rendit à Gaza, où les Philistins complotèrent pour le capturer. Dans un élan de force extraordinaire, il arracha les portes de la ville et les transporta jusqu’au sommet d’une colline près d’Hébron. Plus tard, après avoir été capturé et rendu aveugle, Samson fut conduit au temple de Dagon à Gaza, où il fit s’effondrer l’édifice, se tuant lui-même et causant la mort de milliers de Philistins (Juges 16:21-30).


D’autres références bibliques présentent Gaza comme un lieu soumis au jugement divin. Le prophète Amos prévient la ville d’une rétribution :

"Ainsi parle l'Éternel: A cause de trois crimes de Gaza, Même de quatre, je ne révoque pas mon arrêt, Parce qu'ils ont fait une foule de captifs pour les livrer à Édom. J'enverrai le feu dans les murs de Gaza, Et il en dévorera les palais." (Amos 1:6-7).

De même, le livre de Sophonie prédit la désolation de Gaza :

"Car Gaza sera abandonnée, Ascalon dévastée ; Ashdod sera chassée en plein midi, et Ekron déracinée" (Sophonie 2:4).

Bien qu’ayant souvent été sous domination philistine, Gaza restait, selon la tradition biblique, considérée comme partie intégrante de la Terre d’Israël. Elle fut attribuée explicitement à la tribu de Juda (Josué 15:47), même si la suprématie philistine sur la région entraîna des conflits récurrents avec les Israélites au fil des siècles. Le roi David conquit la région, selon la Bible, bien qu’elle ait retrouvé son autonomie après la division du royaume unifié. Plus tard, le roi Ézéchias, à la fin du VIIIe siècle av. J.-C., mena une campagne victorieuse contre les Philistins et soumit la ville de Gaza, connue pour ses vastes échanges commerciaux avec les empires méditerranéens, étendant ainsi le contrôle judéen sur le territoire côtier philistin (2 Rois 18:8).


Ces récits bibliques et historiques soulignent la relation longue et complexe entre Gaza et le peuple juif, marquée par conflits, conquêtes et implantations juives qui ont perduré sous diverses formes durant des siècles.


Époques hellénistique et romaine : une présence juive sous domination étrangère

Après la conquête d’Alexandre le Grand (vers 332 av. J.-C.), consécutive à un siège brutal de plusieurs mois sur sa route vers l’Égypte, Gaza passa sous influence grecque et devint une polis majeure reliant le monde méditerranéen à l’Arabie et à l’Égypte. Alexandre repeupla alors la région avec des communautés bédouines et nabatéennes. Néanmoins, les relations entre les gouvernants grecs de Gaza et les populations juives voisines furent souvent tendues, la culture hellénistique se heurtant aux traditions religieuses juives, ce qui donna lieu à divers conflits armés.


En 96 av. J.-C., alors que les habitants de Gaza prenaient parti pour l’Égypte ptolémaïque dans une série de hostilités, le roi hasmonéen Alexandre Jannée détruisit la ville, bastion grec sur la côte depuis longtemps. Les troupes de Jannée assiégèrent Gaza, démolirent ses bâtiments et massacrèrent de nombreux habitants, dont plusieurs sénateurs influents. Antipater, nommé gouverneur d’Idumée par Jannée, réinstalla ensuite la région de Gaza sous contrôle hasmonéen, avant que la ville ne soit reconstruite par Pompée en 63 av. J.-C., lors de la réorganisation de la région sous domination directe romaine. En 30 av. J.-C., la ville fut attribuée à Hérode le Grand, qui la gouverna dans le cadre de son royaume judéen sous tutelle romaine.


La présence juive à Gaza sous domination romaine est bien attestée par des artefacts archéologiques et des sources historiques. La ville était alors administrée par un sénat diversifié comprenant Nabatéens, Juifs, Grecs, Romains et autres communautés. Bien que partiellement détruite lors de la Première guerre judéo-romaine en 66 apr. J.-C., Gaza demeura une cité influente dans la province romaine, d’autant plus après la destruction de Jérusalem, continuant d’abriter une communauté multiethnique prospère.


Périodes byzantine et début de l’islam : une communauté florissante, puis déclinante

Sous l’Empire byzantin (IIIe-VIIe siècles apr. J.-C.), Gaza devint l’un des principaux centres juifs et chrétiens de la Palestine méridionale. L’accès des Juifs à Jérusalem ayant été fortement restreint par les autorités chrétiennes byzantines, Gaza devint un lieu de pèlerinage de substitution grâce à ses synagogues.


En témoignent les vestiges d’une synagogue du VIe siècle dans le sud de Gaza, ornée d’une mosaïque représentant le roi David en Orphée, illustration saisissante d’une fusion artistique entre traditions juives et gréco-romaines. Bien que surprenante, une telle iconographie n’était pas inhabituelle à l’époque romaine tardive et byzantine, où l’art juif intégrait fréquemment des influences hellénistiques.


En 634, la domination byzantine fut remplacée par le pouvoir islamique lors des conquêtes arabes. Amr ibn al-As s’empara de Gaza, probablement en 638, et la ville fut épargnée, car elle abritait, selon la tradition, la tombe de Hashim ibn Abd Manaf, arrière-grand-père de Mahomet. L’armée conquérante n’anéantit donc ni la ville ni ses habitants, bien que la garnison byzantine ait été exécutée. Le christianisme perdit alors son influence au profit de l’islam, et plusieurs églises furent transformées en mosquées.


Malgré des périodes de difficultés, la vie juive à Gaza persista et même prospéra durant le début de l’ère islamique. La Geniza du Caire, un ensemble de manuscrits médiévaux juifs découverts en Égypte, révèle qu’une communauté juive vivait à Gaza entre le VIIe et le XIe siècle, notamment active dans la production de vin, fait surprenant dans un contexte majoritairement musulman. Ces documents témoignent de correspondances entre Gaza et des responsables juifs de Fustat (Vieux Caire), concernant commerce, religion et affaires judiciaires. Toutefois, sous domination islamique, les Juifs furent considérés comme dhimmis, soumis à la jizya (impôt spécial) et à certaines restrictions religieuses. Progressivement, pressions économiques et persécutions sporadiques entraînèrent un déclin de la population juive.


L’invasion croisée de Gaza (1100-1101) s’inscrivit dans la vaste campagne de conquête du Levant. Lors de leur prise de la ville, les Croisés la trouvèrent en grande partie abandonnée et y construisirent un château pour les Templiers, transformant la grande mosquée en église. Gaza devint alors un avant-poste militaire sans trace notable de présence juive. Lorsque Saladin et les Ayyoubides reprirent Gaza en 1187, quelques familles juives purent revenir, mais il n’existe pas de documentation attestant une communauté structurée à cette époque.


Sous les Mamelouks (XIIIe-XVIe siècles), Gaza fut revitalisée comme centre commercial stratégique et accueillit à nouveau une présence juive. Des voyageurs européens des XIVe et XVe siècles mentionnent des Juifs vivant du commerce et de la production de vin à Gaza. Ils évoquent même une petite synagogue et précisent que, bien que modeste, la communauté était prospère. Grâce à la relative tolérance des Mamelouks, elle devint la troisième plus importante communauté juive de Palestine.


L’époque ottomane : un renouveau de la vie juive

Sous l’Empire ottoman (1517-1917), la communauté juive de Gaza connut un renouveau, fluctuant en nombre au fil des siècles, tout en restant modeste par rapport à d’autres centres juifs de Palestine. Des registres fiscaux ottomans du début du XVIe siècle attestent d’environ 95 familles juives vivant dans la ville, principalement actives dans le commerce et la viticulture. La communauté possédait son propre quartier et faisait partie d’une population cosmopolite comprenant musulmans, chrétiens et samaritains.


L’une des figures juives les plus influentes de cette époque fut le rabbin Israël Najara (1555-1625), poète renommé, kabbaliste et grand rabbin de Gaza. Sa poésie mystique, dont le célèbre hymne liturgique Yah Ribon Olam, exerça une influence majeure sur les communautés sépharades et mizrahies. Il fut enterré à Gaza, et son tombeau fut longtemps un lieu de pèlerinage juif.


Au XVIIe siècle, Gaza devint également un centre majeur de mysticisme juif grâce à Nathan de Gaza, disciple éminent du prétendu messie Shabbatai Tsvi. Nathan diffusa les enseignements messianiques de Tsvi à travers l’Empire ottoman, attirant des milliers de fidèles et faisant de Gaza le foyer du mouvement. Cependant, après la conversion surprenante et choquante de Tsvi à l’islam en 1666, le mouvement s’effondra, entraînant le déclin de l’influence juive à Gaza. Nathan resta cependant à Gaza, poursuivant ses études mystiques jusqu’à sa mort.


Au XIXe siècle, une autre figure notable liée à Gaza fut le rabbin Yaakov Abuhatzeira, grand érudit et kabbaliste issu de la célèbre famille Abuhatzeira, renommée en Afrique du Nord et en Terre d’Israël pour ses traditions rabbiniques et mystiques. Installé à Gaza à la fin du XIXe siècle, il jouissait d’un grand respect tant auprès des dirigeants juifs que musulmans de la région. Fait singulier, une partie de sa famille installée à Gaza se convertit à l’islam, donnant naissance à la famille "Abu Sira" à Gaza, descendante directe du rabbin Yaakov Abuhatzeira. Son descendant plus célèbre, le rabbin Israël Abuhatzeira (Baba Salé, 1889-1984), n’eut toutefois aucun lien direct avec Gaza, vivant principalement au Maroc puis en Israël. Néanmoins, l’influence de la famille Abuhatzeira sur la spiritualité juive rayonna à travers l’Afrique du Nord et le Levant, et leur lien avec la mystique juive reflète les traditions kabbalistiques autrefois florissantes à Gaza.


Le XXe siècle : expulsions et effacement

Au début du XXe siècle, la population juive de Gaza avait fortement diminué, ne comptant plus qu’une petite communauté. Les difficultés économiques, la montée du nationalisme arabe et les tensions croissantes entre Juifs et Arabes en Palestine mandataire rendaient la vie communautaire de plus en plus difficile. En 1929, des émeutes éclatèrent dans toute la région, alimentées par l’incitation contre les Juifs. Ceux de Gaza furent évacués et le quartier juif de la ville fut détruit par des foules arabes. Bien que quelques Juifs soient revenus dans les années 1930, la communauté ne s’en remit jamais totalement. En 1945, selon les archives du Mandat britannique, seuls environ 80 Juifs vivaient encore à Gaza.


Pendant la guerre israélo-arabe de 1948, les forces égyptiennes s’emparèrent de Gaza et expulsèrent les derniers habitants juifs, mettant fin à plus de 2 000 ans de présence juive continue dans la ville. La nouvelle administration égyptienne limita l’accès des Juifs à la zone, et les sites juifs anciens furent soit abandonnés, soit réaffectés. Après la guerre des Six Jours en 1967, Israël prit le contrôle de la bande de Gaza, y établissant de nouvelles colonies israéliennes comme Kfar Darom, Netzarim ou le bloc de Gush Katif. En 2005, dans le cadre du plan de désengagement unilatéral d’Israël, toutes les communautés juives de Gaza furent démantelées, marquant la première fois en plus de 2 500 ans qu’aucune présence juive n’existait plus dans la région.


Conclusion: un héritage oublié

Aujourd’hui, Gaza est reconnue sur la scène internationale comme une ville palestinienne, sans presque aucune reconnaissance de son passé juif. Les vestiges juifs, y compris synagogues et cimetières, ont été détruits ou transformés. L’effacement d’une célèbre ménorah portant l’inscription "Hannaniah Ben Yaakov" gravée sur un pilier de la Grande Mosquée de Gaza illustre tristement la volonté plus large de faire disparaître toute trace du patrimoine juif de la ville.

Pourtant, l’histoire ne peut être totalement effacée. Les récits bibliques de Samson, les mises en garde prophétiques d’Amos et du livre de Sophonie, les communautés juives romaines et byzantines, ainsi que les kabbalistes de l’époque ottomane témoignent tous d’un lien profond entre Gaza et le peuple juif. Cette histoire, autrefois vibrante, a été systématiquement effacée, mais elle reste une part essentielle du passé juif. La question demeure : le passé juif de Gaza sera-t-il un jour reconnu à nouveau ?


Article écrit par Jordan Kastrinsky (@jnkast)

Managing Partner - Global Upscale

Specialist du monde arabe - Arab Anthropology


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