L’éducation en Israël dans les années 1950 : façonner une Nation par l’école
- Dr. Sigal Barkai
- 15 août
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Un pays dans la salle de classe
Lorsque l’État d’Israël déclara son indépendance en 1948, son système éducatif ne partit pas de zéro : il s’enracinait dans 3 800 ans d’histoire juive. De l’époque biblique au sionisme moderne, le retour du peuple juif sur sa terre ancestrale – et le désir ininterrompu d’y revenir – façonna la manière dont l’État aborda l’éducation de sa jeunesse.
Après le recouvrement de la souveraineté au XXᵉ siècle, les élèves apprenaient à voir cet accomplissement – après deux millénaires d’exil – comme un miracle historique rare. Ils étaient investis de la mission de préserver leur héritage, de renforcer leur lien avec la terre et de développer un sentiment d’identité, de résilience et de responsabilité, tandis que les dirigeants mettaient en place un système éducatif moderne, démocratique et tourné vers l’Occident.
La Déclaration d’indépendance garantissait l’égalité pour tous les citoyens*, y compris Arabes, Druzes et Bédouins. Cette promesse conduisit à la création d’un système éducatif public distinct, en langue arabe, géré par le ministère de l’Éducation mais adapté aux besoins spécifiques des communautés arabes.communities.
Un système unique… ou presque
Dès le départ, l’éducation en Israël fut conçue comme publique, centralisée et accessible. Dans les années 1970, la scolarité devint gratuite jusqu’à la fin du lycée. Les écoles privées étaient rares, sauf dans les communautés ultra-orthodoxes disposant de réseaux indépendants reconnus par l’État.
La vision derrière ce système d’éducation publique combinait l’humanisme d’après-guerre, les tendances internationales de l’éducation progressive et un mélange proprement israélien de tradition, de nationalisme et d’innovation.
Trois vagues de réforme
Selon Ami Volansky, ancien professeur à l’Université de Tel-Aviv, l’éducation israélienne a connu plusieurs phases :
De l’entre-deux-guerres aux années 1970 : pédagogie progressive centrée sur l’élève.
Années 1980–2000 : standardisation et évaluation des résultats (uniformes scolaires, suivi des performances académiques).
Années 2000 à aujourd’hui : créativité, pensée critique et travail collaboratif.
De multiples courants, un seul État
Avant l’indépendance, les différents secteurs – juif, arabe, religieux et laïque – géraient leurs propres écoles, avec des programmes distincts reflétant leurs visions du monde. En 1953, la Loi sur l’éducation publique unifia ces courants en deux filières officielles : l’enseignement public et l’enseignement public religieux, aux côtés des systèmes arabophone et ultra-orthodoxe indépendants.
La philosophie « étatiste » impliquait que les écoles soient publiques, transmettent des valeurs communes et servent l’intérêt général, sans affiliation politique ou religieuse extérieure, sous la supervision du ministre de l’Éducation ou de ses délégués. Les kibboutzim ajoutèrent leur touche : méthodes éducatives égalitaires, expérimentales, parfois controversées.
Les années 1950 : forger le "Nouveau Juif"
Dans les années 1950, le jeune système éducatif israélien devait façonner non seulement les élèves, mais aussi une identité nationale renouvelée. Le premier programme scolaire mêlait tradition et modernité : agriculture, découverte de la nature, jeux en plein air, éducation physique et un fort accent sur les arts et métiers manuels.
Inspirées des pédagogies progressistes et des mouvements de jeunesse sionistes, les écoles - notamment dans les kibboutzim où les valeurs collectives étaient centrales - visaient à former le « Juif nouveau » : en bonne santé, autonome et attaché à la terre. L’accent mis sur l’agriculture reflétait l’image du fermier biblique, vivant en harmonie avec les cycles de la nature et des saisons.
Dans ces communautés rurales, les enfants vivaient souvent dans des « maisons d’enfants », élevés collectivement, tandis que les jeunes urbains participaient à de longues randonnées, des camps de type scouts et des travaux volontaires dans des villages agricoles. L’héritage religieux restait essentiel : élèves laïcs comme religieux étudiaient la Bible hébraïque et la tradition orale pour renforcer leur lien avec les ancêtres et la terre d’Israël.
L’influence occidentale - et ses angles morts
L’ossature intellectuelle de l’éducation israélienne fut largement inspirée des modèles ouest-européens, apportés par les enseignants ayant fui l’Europe dans les années 1930 et 1940. Ces approches introduisirent des méthodes pédagogiques modernes et des valeurs nouvelles, mais ignorèrent souvent les traditions des communautés juives venues du Moyen-Orient, d’Asie ou d’Afrique du Nord.
Conformément à la vision "melting-pot" des fondateurs de l’État, l’objectif était de fusionner toutes les cultures en une identité unique, moderne et enracinée dans les idéaux des Lumières. Si cette politique ne fut guère contestée dans les premières années, elle fut plus tard critiquée pour avoir effacé une partie de la diversité culturelle israélienne - une tension qui influence encore l’éducation et la société aujourd’hui.
Un âge d’or pour l’éducation artistique
Les premières décennies de l’État furent marquées par un essor remarquable de l’éducation artistique, contribuant à façonner une identité "sabra" fière et profondément enracinée dans la terre (le "sabra" désignant une personne née en Israël, en particulier dans la communauté juive).
De nombreux kibboutzim nommaient un « artiste du kibboutz » chargé de réaliser fresques, affiches, journaux communautaires, décorations de fêtes et sculptures en plein air inspirées par la nature et les fêtes juives. Ces créations ne se limitaient pas à l’esthétique : elles renforçaient les valeurs collectives et nourrissaient une culture commune.
L’éducatrice visionnaire Malka Haas révolutionna l’enseignement artistique de la petite enfance avec son concept de "Cour de récupération" : un espace où les enfants pouvaient choisir librement leurs matériaux et créer. Inspirée par la pédagogie centrée sur l’enfant, son approche développait autonomie, créativité et résolution de problèmes - des compétences cruciales dans un pays jeune et imprévisible.
L’héritage du premier programme scolaire
Le premier programme national, en 1954, cherchait à former une génération confiante, créative, attachée à la terre et prête à affronter l’avenir. Il reflétait la vision éducative des années 1950 : l’école comme outil central de construction nationale. Avec le temps, l’accent se déplaça des arts vers les sciences et la technologie, mais l’idée fondatrice de l’éducation comme pilier de l’identité de l’État est restée intacte.
Conclusion
Dans les années 1950, les écoles israéliennes étaient bien plus que des lieux d’apprentissage : elles étaient le plan directeur d’une société. Elles ne se contentaient pas d’enseigner des faits ; elles façonnaient un peuple.
Article rédigé avec la contribution de Dr. Sigal Barkai
Dr Barkai est Directrice générale de l’éducation artistique au ministère israélien de l’Éducation, chercheuse et commissaire d’art israélien, spécialiste de l’histoire, de la théorie et de la pratique de l’éducation artistique.
L'article est basé sur des extraits du chapitre: "Brief Historical Context: Key Periods in Curriculum Planning in Israel and Its Effect on Arts Education", dans Art Education in Israel: Navigating Diversity and Change, Springer, 2025.
*Extrait de la Proclamation d’indépendance de l’État d’Israël : "… L’État d’Israël assurera l’égalité complète des droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de religion, de race ou de sexe ; garantira la liberté de religion, de conscience, de langue, d’éducation et de culture ; protégera les lieux saints de toutes les religions."
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